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Controverses mode d’emploi

Le regard
socio-technique

L’analyse de controverses, en tant que méthode pédagogique, est née dans une école d’ingénieur·e·s, afin de former les étudiant·e·s à prendre en compte les dimensions sociales et politiques de leurs innovations dès le stade de la conception. Elle s’est prolongée au sein d’une école de sciences sociales pour enseigner à ne jamais disjoindre les problèmes de société de leurs aspects scientifiques et techniques. Puis elle a été diffusée dans des universités, lycées et auprès de citoyen·ne·s pour permettre à chacun·e de se repérer et d’agir en situation d’incertitude.
Inscrite dans le courant des science and technology studies (STS), l’analyse de controverses porte un regard singulier sur le monde. Elle invite à analyser les sciences et les techniques non pas pour elles-mêmes, mais dans leurs liens avec la société, en empruntant des perspectives à la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, etc. Loin de se borner à témoigner de l’univers clos de la recherche ou des politiques scientifiques, elle rend visibles les dispositifs de production de connaissance, y compris dans leurs aspects les plus matériels ; elle renseigne sur les traits profonds et constitutifs de nos sociétés en mettant au jour leurs mécanismes de construction de catégories sociales et politiques.
Dans une préface à l’anthologie de ses écritsEverett C. Hughes, The Sociological Eye : Selected Papers, Chicago, Aldine-Atherton, 1971., Everett C. Hughes souligne l’importance méthodologique du regard sociologique :
Parmi les méthodes que je recommande, il y a le regard intense et pénétrant, avec une imagination aussi vive et sociologique que possible. […] La charge de la preuve incombe à ceux qui prétendent qu’une chose vue une fois est unique ; s’ils cherchent bien, ils pourront la trouver partout, avec des contrastes intéressants à chaque fois.
C’est un tel regard que nous avons d’abord voulu porter ici. Nous l’avons qualifié de « socio-technique » afin de penser les interrelations entre des techniques, des pratiques, des concepts, des groupes sociaux et des politiques, une notion centrale des STS. Ce regard, nous l’avons dirigé sur ce qui nous entoure, Paris et l’Île-de-France, en nous inspirant d’une déambulation de Bruno Latour et Émilie Hermant intitulée Paris ville invisibleBruno Latour et Émilie Hermant, Paris ville invisible, Paris, La Découverte, 1998. :
Paris se donne si facilement au regard des peintres et des touristes, on l’a si souvent photographiée, on a publié sur la Ville Lumière tellement de beaux livres, qu’on oublie les difficultés des milliers d’ingénieurs, de techniciens, de fonctionnaires, d’habitants et de commerçants, pour la rendre visible. […] Nous vivons en ville, en foule, en techniques, en réseaux, en multiplicité. Il faut bien s’y faire. […] Oui, il existe bien un monde commun, des existences pleines et entières, des civilisations, mais il faut accepter de suivre les totalités dans les lieux étroits et provisoires où elles dessinent leurs tableaux ; les suivre ensuite dans les mondes qu’elles performent – rues, couloirs, lieux, places, mots, clichés, lieux communs, standards.
Dans les pages qui suivent, nous proposons trois parcours dans des lieux du territoire, chaque parcours comprenant trois étapes. Le premier suit l’eau dans la ville à travers l’évolution de ses infrastructures et de ses usages. Le deuxième interroge les relations entre techniques et sociétés en s’intéressant à des objets en réseaux. Le troisième s’arrête sur des institutions qui témoignent par leur histoire de la co-construction des corps des femmes par les sciences et les sociétés.
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