Par les formes singulières qu’elles prennent, par l’originalité des nouvelles mobilisations qu’elles suscitent, les controverses contemporaines témoignent de l’inventivité avec laquelle les sociétés se font. Elles constituent parfois le cadre même de leurs transformations et c’est ce qui rend l’étude de ces débats scientifiques et démocratiques si passionnante. Les cinq analyses présentées dans les pages qui suivent sont issues d’enquêtes de terrain qui, chacune, posent des questions très différentes et requièrent des méthodes d’analyse spécifiques. Elles rendent compte de la richesse et de la diversité des controverses, et parfois de disputes sur le monde à habiter.
En se penchant sur le phénomène du burn-out, la première étude traite la reconnaissance dans une nomenclature non seulement médicale, comme maladie, mais aussi légale, comme maladie professionnelle, d’une souffrance provoquée par le travail. Outre l’interdépendance de ces catégorisations scientifiques, politiques et juridiques, c’est le caractère performatif du concept qui est questionné : pourquoi faut-il donner un nom à l’épuisement professionnel ?
On pourrait ne voir dans la controverse sur le glyphosate qu’une lutte
entre des intérêts économiques et écologiques. En réalité, elle met au défi
la capacité de transformation des démocraties contemporaines confrontées au sujet complexe de l’emploi de cet herbicide – et des pesticides en
général. Ce faisant, elle pose la question suivante : à quel niveau de preuves et d’expertises est-il nécessaire de parvenir pour que nous acceptions collectivement un changement structurel (en l’occurrence, celui du modèle agricole qui prévaut depuis la seconde moitié du XXe siècle) et ce, « quoi qu’il en coûte » ?
La controverse de la forêt sauvage de Romainville porte sur un projet d’aménagement au sein d’un territoire local. Elle est intéressante pour la dynamique de ses débats, qui se transforment à mesure que le projet évolue au fil des décennies, pour les différents cadrages des enjeux qu’elle donne à voir : l’appréciation du projet diffère complètement selon que l’on se place à l’échelle du voisinage, de la commune, de la métropole, de la région ou de l’ensemble des espèces constitutives d’une biodiversité. Finalement, elle interroge l’intrication des mondes social et naturel : quelle place donner à la nature en ville ?
La controverse sur les rats à Paris pointe les problèmes liés à
la quantification d’un phénomène, en l’occurrence celle de la présence des rongeurs. Son étude révèle que des données scientifiques fiables sont d’autant plus compliquées à produire que s’y mêlent des questions de représentation et de perception – le rat suscitant un imaginaire négatif. Peut-on alors parler d’une invasion des rongeurs dans la capitale ? L’analyse de cette controverse rend visibles les interrelations, souvent occultées, entre mondes humains, non humains et techniques.
La dernière controverse porte sur les forages en eaux profondes, ou deep sea mining. Elle étudie un dispositif socio-technique qui, aussi éloigné, complexe et invisible soit-il, met en question la multiplication des innovations et l’idée de progrès qui les sous-tend. L’étude de cette controverse témoigne que la production de connaissances scientifiques est souvent étroitement liée à des conquêtes industrielles et commerciales. Elle met en scène une lutte : comment faire émerger un débat public autour d’un sujet qui mobilise des savoirs experts ?