Dans un texte fondateur de l’analyse de controverses, «
Pour une sociologie des controverses technologiques », Michel Callon souligne le changement de perspective qu’implique de penser le social à partir des techniques :
Il faut commencer par […] accepter de remettre en cause les catégories qui nous conduisent à décrire un monde déjà fait, avec sa science, sa culture, ses institutions, ses technologies.
Les penseur·se·s des techniques ont proposé diverses manières d’analyser un monde en train de se faire. Suivant la typologie proposée par la sociologue Madeleine Akrich – qu’elle invite à ne pas figer mais qui offre un cadre cognitif intéressant pour percevoir les distinctions opérées –, nous analysons ici trois objets techniques en société, en faisant varier la focale.
En premier lieu, nous effectuons une visite au Musée des arts et métiers de Paris, pour y contempler la juxtaposition chronologique des différents modèles de vélo et nous interroger : que donne à lire cette évolution ? En suivant un courant sociologique intitulé « la construction sociale de la technologie », nous inversons le regard et soulignons le rôle que des groupes sociaux et un contexte historique singulier ont pu jouer dans la transformation des caractéristiques techniques et dans la forme même du vélo, qui a vu le diamètre de sa roue avant diminuer au fil du temps et qui s’est doté de pneus.
Nous nous intéressons ensuite à l’impact social et politique d’un dispositif technologique en Seine-Saint-Denis : celui des data centers. Ces centres de calcul constituent les nœuds d’un réseau tellement invisibilisé que l’on utilise souvent à tort la métaphore nuageuse du « cloud » pour le décrire. Ils sont un élément stratégique de l’infrastructure matérielle d’internet dont les propriétés façonnent les usages et les territoires.
À travers l’histoire d’un transformateur électrique, nous illustrons enfin une approche dite d’« anthropologie symétrique », qui appelle à dépasser la dichotomie technique/société et montre une évolution conjointe d’objets, d’idées et de pratiques qui se transforment, sans pouvoir attribuer de causalité. Comme le souligne Michel Callon dans ses analyses d’une controverse technologique, « ce que l’acteur A considère comme social, l’acteur B le tient pour technique (et réciproquement) ». La frontière entre les éléments techniques et les briques sociales d’un monde en train de se faire n’est pas quelque chose de figé, ni de donné ; c’est l’enjeu de controverses dites socio-techniques.