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Controverses mode d’emploi

L’art des controverses

La création pour apprendre

L’analyse de controverses a été enseignée à Télécom Paris de 2008 à 2019. Les étudiant·e·s ont mené des enquêtes présentées sous forme de sites web associés à des créations collectives relevant du théâtre, du cinéma ou de la poésie. Pourquoi faire appel à la représentation artistique pour analyser et restituer une controverse ? En quoi facilite-t-elle la compréhension et la transmission d’un fait social ?
Plusieurs principes guident la mise en forme artistique d’un travail d’enquête sur la controverseOlivier Fournout et Valérie Beaudouin, « L’art pour la pédagogie : mise en théâtre de la controverse sur le mariage pour tous », colloque Questions de pédagogie dans l’enseignement supérieur, Grenoble, 2017 ; Olivier Fournout et Sylvie Bouchet, Le Champ des possibles. Dialoguer autrement pour agir, Paris, SiKiT, 2019.. Tout d’abord, il s’agit d’une œuvre collective coproduite par les étudiant·e·s. Après s’être mis d’accord sur la forme de restitution – un sketch théâtral, un court-métrage, une création sonore ou une performance poétique –, ils et elles participent à toutes les étapes du processus créatif. Ensuite, le modèle péda­gogique adopté par les enseignant·e·s est celui de l’ac­com­pa­gne­ment. Dans la lignée des expériences de Joseph Jacotot analysées par Jacques Rancière, il repose sur la motivationJacques Rancière, Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 1987.. Les étudiant·e·s conservent beaucoup d’auto­no­mie quant à la forme et au contenu de leur travail, mais il leur faut respecter quelques contraintes : la création doit s’ap­pu­yer sur le matériau d’enquête ; le processus s’inscrit dans un cadre précis, la représentation publique finale fixant l’horizon temporel ; des points d’étapes viennent séquencer le travail. L’accompagnement est collectif, assuré par des enseignant·e·s, en sciences sociales ou ayant une pratique artistique, qui laissent aux étudiant·e·s la res­pon­sa­bilité de leurs choixDavid Christoffel et Olivier Fournout, Hack us. Auto-ethnographie dialoguée d’un exercice de fictionnalisation sonore et musicale d’une controverse, Paris, Réseau université de la pluralité, 2019.. Les groupes sont ainsi soutenus dans leurs propres cheminements de découverte de la contro­verse et de la création. Enfin, cette expérience est pensée pour être communiquée et partagée, comme toute création artistique. Il existe une grande proximité entre une controverse et une représentation : toutes deux miment, face à un public et de manière originale, des acteur·rice·s et des conflits et invitent les spectateur·rice·s à analyser, réfléchir, prendre parti.
Quels sont les apports de la création dans l’analyse de controverses ? L’expérience créative, loin de s’opposer au processus intellectuel, tend au contraire à le renforcer et améliore la conduite de l’enquête. Comme la représentation artistique se prépare en parallèle du travail de recherche, l’étudiant·e s’implique davantage dans la compréhension des arguments des acteur·rice·s de la controverse. Il ou elle se les approprie pour les faire vivre et les incarner dans une autre arène, celle de la scène : « Le fait de ressentir de l’intérieur les motivations et revendications des différents acteurs n’a fait que renforcer notre compréhension du sujet », lit-on dans les retours des étudiant·e·s. La représentation artistique donne toute sa place aux émotions qui agissent dans les controverses. Elle permet de mieux mettre en scène les conflits, les débats et leurs transformations, et de faire sentir la dynamique de transformation des positions et des arguments.
La création artistique fait exister le collectif. Réaliser une œuvre collective force au partage et à l’échange des savoirs, et conduit à une meilleure appréhension des connaissances : « La réalisation d’une performance nous a permis de nous approprier le travail fourni par toute l’équipe », témoigne un étudiant.
Enfin, loin de produire un public passif, ce mode de restitution favorise l’engagement et la participation des spectateur·rice·s : tou·te·s sont attentif·ve·s et ressentent les émotions de manière collective. Plus nombreux que dans les restitutions classiques à participer au débat à l’issue de la représentation, « ils sont à la fois […] des spectateurs distants et des interprètes actifs du spectacle qui leur est proposé », comme l’écrit Jacques RancièreJacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.. Autrement dit, les élèves sont parvenu·e·s à une compréhension plus fine de la controverse qu’ils ont étudiée et ont été amené·e·s à réfléchir aux controverses présentées par les autres groupes.
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