publié par équipe FORCCAST le 19 déc. 2018
Mesurer les inégalités ou non ? Telle était la question qui a occupé les 130 étudiants de l’UPEC hier pendant quatre heures de simulation sur la question des inégalités. L’enjeu était de taille, puisqu’il s’agissait de proposer des idées concrètes pour rendre les indicateurs existants moins inégalitaires. En effet, le Comité des Politiques de Développement (CDP) avait invité les délégations et organisations internationales à une réunion de consultation.
Une session plénière malaisante pour le CDP
Il est 19h, la fatigue commence déjà à se sentir parmi les acteurs, après de longues sessions de tables rondes et de négociations informelles. La pression monte, mais tout le monde doit rester alerte ; le CDP s’apprête à annoncer ses propositions à l’issue des concertations avec les différents acteurs.
Très attendu, le texte proposé par le CDP était axé sur des mesures d’adaptation et d’atténuation des inégalités monétaires, laissant pour compte les autres dimensions. De ce fait, les suggestions n’ont pas gagné l’adhésion de la plupart des acteurs, bien qu’elles aient pris en compte certaines propositions, comme la création d’un organisme indépendant des Etats pour la production des statistiques. Toutefois, l’attitude du CDP laissait penser qu’il avait déjà ficelé sa stratégie en amont, ce qui a provoqué de vives contestations de la part des activistes. Dans un élan général de protestation, ceux-ci ont pris d’assaut la chaire pancartes en mains. Ils ont dénoncé la non prise en compte des suggestions transmises par le mouvement des activistes, qui réclamait notamment la mise au point d’indicateurs reflétant les inégalités non-monétaires.
Des tables rondes sur les mesures d’adaptation et d’atténuation des inégalités
Avant la session plénière, les acteurs avaient été séparés en deux groupes de discussions parallèles pour une durée d’une heure. La répartition avait été soigneusement réfléchie par les trois membres du Comité. Leur objectif : éclater les alliances entre, et au sein des délégations formées après la conférence de presse. Toutefois, la stratégie déployée a été contrée par des informations confidentielles diffusées par les organisateurs de la simulation auprès de certains activistes.
En effet, ces derniers ont quitté subitement les deux tables rondes, et se sont réunis en mouvement alternatif pour réfléchir à la question de la mesurabilité des inégalités.
Mouvement alternatif : “Et si l’accès à la santé devenait la base de toute réflexion sur les mesures des inégalités ?”
Ni adapter, ni atténuer, mais sortir d’une approche purement monétaire des inégalités. Telle était l’arme de poing du mouvement alternatif. Toutefois, trouver un terrain d’entente entre ONGs et activistes n’a pas été facile pour autant. Rejoints par certains acteurs en cours de débat, d’autres pistes de réflexion ont été amorcées. La représentante de la Commission pour un Égal Accès à la Santé (PAHO) de la délégation de Trinité et Tobago, Mathilde Certoux, a proposé un indicateur très abouti, l’INSBE (Indice National de Santé et de Bien-être). Infirmière de profession, et étudiante en Master Action Humanitaire à l’UPEC, elle a mobilisé son expertise dans le domaine de la santé pour apporter des solutions concrètes. Pour elle, la santé devrait constituer la base de toute réflexion autour des mesures des inégalités et prendre en compte les indicateurs spécifiques populationnels liés à la santé (facteurs environnementaux, traitements de déchets, accès à l’eau potable et traitement des eaux usées, catastrophes naturelles, sécurité alimentaire).
Le WIL, un projet qui se distingue à la plénière
Alors que les propositions institutionnelles du CDP manquaient de corps, le projet porté par la délégation de Trinidadienne a retenu toute l’attention, avec la création d’un World Inequality Laboratory (WIL, Laboratoire des Inégalités Mondiales). Alors que la proposition a pu étonner certains observateurs, sachant qu’un organisme similaire a été crée en 2011, le projet trinidadien se distingue néanmoins par une approche multifactorielle et surtout non-monétaire des inégalités. Dans un souci de respect du concept onusien du “Leaving no one behind” (ne laisser personne pour compte), ils proposent de croiser plusieurs secteurs : environnement, logement, égalité entre les genres, accès aux biens et services, etc. Afin de rendre les mesures plus égalitaires, la délégation trinidadienne suggère de ventiler ces secteurs par d’autres éléments, comme l’âge, l’appartenance culturelle, l’origine, situation familiale, apparence physique, milieu social, etc. Ils ont détaillé leur projet sur un site web ouvert aux autres acteurs, afin de continuer à alimenter la réflexion, au-delà du cadre de la simulation. Cette initiative a été largement saluée par l’auditoire, y compris par les Grands témoins.
Retour sur l’expérience avec les invités
Trois experts de la question des inégalités mondiales ont fait l’honneur aux étudiants d’assister à la simulation : Nicolas Vercken (chargé de plaidoyer chez Oxfam France), Daniel Verger (chargé de plaidoyer au Secours Catholique) et Richard Clarke (économiste au Département des Inégalités de l’OCDE).
A la fin de la simulation, un temps de debrief a été organisé avec les experts qui ont partagé leurs observations avec les étudiants. Plusieurs éléments constructifs ont été soulevés. Les témoins ont rappelé que la question des inégalités était d’abord un sujet éminemment politique, et qu’il était pour cela nécessaire d’interroger le contexte dans lequel cette question émerge et se pose, avant d’insister aussi sur le fait que l’inégalité n’est pas un concept statique, mais une situation évolutive. Comment mesurer les inégalités dans un monde en constante évolution ? Sur quels facteurs prendre appui, lorsqu’eux-mêmes se trouvent soumis au changement ?
Les témoins ont aussi fait un retour sur le jeu d’acteur. La traditionnelle opposition “ami-ennemi” se voit défaite par l’interdépendance des acteurs. En effet, les discutants ont rappelé que la force des activistes ne résidait pas exclusivement dans leur capacité à “faire du bruit” dans une optique de médiatisation, mais aussi de produire une expertise à destination des acteurs institutionnels. L’inverse est vrai, puisque les acteurs institutionnels ont également besoin de s’appuyer sur l’expertise des ONGs qui ont accès à des informations et données de première main, pour élargir leur champ d’action sur les inégalités.
A la fin du temps d’échange, les témoins ont salué l’engagement des étudiants dans cet exercice condensé, intense et épuisant. Pour les experts, cette simulation a donné un bon avant-goût de l’atmosphère et du rythme des négociations telles qu’ils les vivent dans leur travail. En effet, celles-ci peuvent durer parfois plusieurs semaines, et mettent la gestion des émotions à l’épreuve. Les étudiants ressortent grandis de cet exercice, et reconnaissants d’avoir pu participer à cette expérience, qui était une première pour beaucoup d’entre eux.