publié par équipe FORCCAST le 28 janv. 2019
Ce samedi 19 janvier 2019, vingt-trois étudiants issus de la filière Relations Internationales de l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) ont participé à une simulation de gestion de crise autour du virus Ebola. Pour cette journée, les étudiants ont endossé le rôle de responsables politiques, de représentants d’organisations humanitaires, d’experts en virologie et en immunologie. La présence de lobbyistes et de journalistes, également joués par les étudiants, a rendu l’exercice encore plus vivant et réaliste avec un LiveTweet (@forccast_inalco) qui suivait l’évolution de la simulation en direct. Ensemble, les participants ont tenté de répondre avec des contenus scientifiques et techniques aux problématiques soulevées par la gestion d’une épidémie virale.
A 8h45, le journal du matin d’Euronews, soigneusement préparé par l’équipe Forccast, a annoncé la nouvelle : alors que l’Union Européenne a débloqué 7,2 milliards d’euros pour lutter contre l’épidémie d’Ebola en République Démocratique du Congo, trois nouveaux cas suspects auraient été signalés dans la capitale congolaise – information qui, au moment de la diffusion, n’a pas encore été confirmée par le gouvernement de la RDC.
Après ce lancement, les étudiants ont simulé une réunion de crise interministérielle convoquée par le Cabinet du Premier Ministre au Palais de la Nation à Kinshasa. L’exercice n’était pas évident, car chaque acteur convié (Ministre de la Santé, ministre de l’Intérieur, Conseiller du Ministre des Sports, le Maire de Kinshasa avec son adjointe, les représentant de Médecin Sans Frontières – unité d’intervention RDC et la MONUSCO) disposait d’informations divergentes dans sa fiche de rôle. Les négociations portaient notamment sur le stock de vaccins, la priorisation de ceux-ci, mais aussi sur des mesures de sécurité à mettre en place en cas de crise de type Ebola dans une mégapole comme Kinshasa. Les propositions de mesures de sécurité ont afflué, parmi lesquelles on retient la fermeture des frontières, annulation des vols, fermeture des poubelles publiques, le contrôle et la désinfection des transports publics, mais aussi la mise en place de Centre de Traitement Ebola (CTE) et la distribution d’équipements de protection individuelle (EPI) aux personnes exposées en première ligne comme les aides-soignants, mais aussi le personnel de nettoyage et de la gestion des déchets. La réunion de crise était symbole de tensions entre les acteurs gouvernementaux présents, mais aussi de frustration pour ceux non conviés à la réunion, à l’instar du représentant de l’OMS. Un accord était en effet difficile à atteindre, eu égard aux agendas politiques divergents des acteurs.
L’arène internationale s’est installée dans l’après-midi. C’est alors que la majorité des participants a endossé un nouveau rôle, poussant ainsi les étudiants à changer de points de vue et mobiliser des arguments contraires à ceux avancés dans la matinée. Invités à répondre à des problématiques beaucoup plus techniques et scientifiques, les étudiants se sont mis dans la peau d’experts en vaccinations, de membres du comité d’éthique de l’OMS, de virologues ou encore de représentants d’ONGs humanitaires, ou de grands groupes pharmaceutiques lors de la réunion d’urgence “Réponse Sanitaire Internationale” (RSI) à l’Organisation Mondiale de la Santé. L’objectif de cette réunion était de décider si la crise d’Ebola en République Démocratique de Congo nécessitait le déclenchement du statut “Épidémie d’urgence internationale” de la part de l’OMS.
Afin de répondre à cette interrogation, les négociations ont essentiellement tourné autour de trois axes : l’utilisation (ou non) de traitements expérimentaux et leur priorisation, le traitement des cadavres et des déchets médicaux, le seuil d’alerte et le recensement des morts. Les étudiants ont dû recourir à des statistiques et données chiffrées concrètes afin de construire leur argumentaire. Cette démarche a aussi permis de dépasser les clivages stéréotypiques – entre gouvernement et organisations internationales corrompus d’un côté, et ONG humanitaires et médecins de l’autre – éloignés d’une réalité beaucoup plus complexe. C’est ce qu’ont souligné Rony Brauman (MSF-Crash) et Eileen Farnon (Disaster Outbreak Investigation Taskforce – Institut Pasteur) lors d’un échange avec les étudiants.
Selon ces derniers, la gestion d’une crise Ebola est essentiellement un enjeu de tractations politiques et économiques entre les différents acteurs concernés qui s’appuient sur des expertises scientifiques. Néanmoins, il convient de rappeler que toute épidémie virale, de par le génie propre du virus, connaît une fin naturelle sans aucune intervention humaine. Cela vaut également pour le virus Ebola, qui connaît un taux de transmission faible (comparé à d’autres souches virales), mais avec une ratio de létalité élevée. Les arguments mobilisés pour justifier d’une décision ne peuvent donc seulement se fonder sur des résultats scientifiques. L’existence de traitements expérimentaux, dont certains ont démontré leur efficacité sur le terrain, nous sort quelque peu de l’incertitude scientifique, mais pose davantage un problème de choix politiques, éthiques et moraux.
Pour Rony Brauman, tout dépend du point de référence que l’on choisit. Si l’on se réfère au taux de transmission faible, on pourrait conclure qu’il n’y a pas urgence d’agir. Si, au contraire, on se réfère au taux de létalité élevé, alors Ebola devient un “enjeu de sécurité publique” et appelle à une action rapide et ciblée de la part des autorités.
Eileen Farnon, a, quant à elle, partagé avec les étudiants ses observations au sujet des tractations qui ont eu lieu à l’OMS entre les différents acteurs autours des vaccins expérimentaux. Pour elle, qui a travaillé auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé avant de rejoindre l’Institut Pasteur, la priorisation d’un vaccin sur d’autres relèverait, là encore, d’un choix politique résultant d’un jeu d’acteur complexe, plutôt que du seul raisonnement scientifique.
Cerner les subtilités du jeu d’acteur a posé un défi majeur aux étudiants qui occupaient des postes décisionnaires dans la simulation, et dont le rôle de leadership était difficile à endosser. En effet, ces derniers ont dû faire face à de multiples informations et pressions contradictoires qui ont mis leur impartialité à l’épreuve.
Ainsi, forte de ses complexités et rebondissements, la simulation a rencontré un franc succès auprès des étudiants de l’Inalco, parmi lesquels quelques étudiants-volontaires de l’Association Promethei, habitués aux simulations MUN (Modèle des Nations Unies), étaient également présents. Tous ont salué la double qualité de l’exercice qui les a immergés dans la complexité du jeu d’acteur, tout en leur apportant -au-delà des stratégies de négociations- un vrai savoir scientifique et technique !