Soutenance des études de controverse au mastère “Ingénierie et gestion de l’environnement” à Mines ParisTech

publié par équipe FORCCAST le 04 mars 2019

catégories Controverses · Enseignement supérieur · Les actions · Mines ParisTech

Le 29 janvier 2019 ont eu lieu à MINES-ParisTech les soutenances des neuf études de controverse réalisées par les étudiant.e.s du mastère “Ingénierie et gestion de l’environnement”. Ce travail d’enquête conduit tout au long des mois passés donne lieu avant tout à la rédaction d’un dossier détaillant l’ensemble du matériau documentaire collecté ainsi qu’à une description fine des acteurs, positions et trajectoire du problème envisagé. Mais ce rendu se fait à l’occasion d’une présentation orale publique. Ainsi chaque groupe a pu présenter de manière synthétique devant un jury nombreux les éléments saillants et nœuds de tensions de son sujet.

Par cet exercice, réalisé par groupe de trois (à l’exception d’un groupe de deux), les étudiant.e.s appréhendent la complexité des groupes mobilisés autour d’un projet d’aménagement engageant une articulation entre activités économiques, forces sociales et mondes dits naturels. Destiné à former de futurs experts engagés dans la mise en œuvre de stratégies environnementales, le mastère, formation d’un an, est ouvert à des titulaires d’un master aux profils très variés, en adéquation avec l’enchevêtrement des problèmes auxquels ils sont confrontés. Le choix d’aborder des enjeux environnementaux par le prisme d’une étude de controverses permet de saisir de manière féconde de nouveaux “acteurs” et la diversité des problèmes soulevés. En cela, cet enseignement s’inscrit pleinement dans les apports de la sociologie des sciences et des techniques qui ont fait de ces situations de dispute un point d’observation de la construction de nouvelles connaissances et d’agencements socio-techniques inédits.

Ce travail est réalisé au cours du premier semestre du master et donne, en sus des apports théoriques délivrés dans le cadre des autres enseignements, l’occasion aux étudiant.e.s de se confronter aux réalités du terrain. En effet, chaque groupe a pour mission de se rendre sur les lieux mêmes où se mobilisent les acteurs afin de réaliser des entretiens. Cette démarche de pédagogie active est l’occasion de s’immerger et de s’approprier réellement la complexité des problèmes contemporains où persistent les incertitudes. Par la confrontation avec le terrain, il s’agit également de donner une expérience exemplaire des pratiques professionnelles auxquelles les étudiant.e.s. seront confronté.es.. Les restitutions orales de tout ce travail s’effectuent en une vingtaine de minutes au cours de laquelle chaque groupe présente de manière ramassée l’ensemble de l’enquête, ce qui les oblige à choisir et identifier les aspects qui paraissent le plus à même de rendre compte de la controverse. A l’issue de leur exposé, ils doivent par ailleurs répondre aux questions du jury – cette année il était composé de la directrice de l’ISIGE (Jasha Oosterbaan-Eritzpokhoff), de la directrice du master (Valérie Lenglart), des enseignants impliqués dans le cours, pour la plupart rattachés au Centre de sociologie de l’innovation (Madeleine Akrich, Jérôme Denis, Daniel Florentin et Fabien Muniesa) ainsi que d’un membre de l’équipe Forccast (Vincent Casanova) – pendant une dizaine de minutes et qui cherche à leur faire préciser ou clarifier certains de leurs propos.

À titre d’exemples, nous pouvons résumer les cinq prestations de la matinée. Tout d’abord, a été présentée la controverse portant sur le Center Parcs de Roybon (Isère). La réalisation de ce centre de loisirs porté par le promoteur Pierre et Vacances a engendré la naissance du “zone à défendre” à la suite du rejet des différents recours administratifs et le début des travaux. L’oral a permis de faire valoir ainsi la manière dont se définissent les zones humides et les incertitudes et désaccords quant aux manières de les catégoriser d’une part et aux “compensations” induites par leurs destructions d’autre part, l’ensemble alimentant ainsi tout particulièrement les oppositions.

Puis, ce fut au tour du “bras de fer” autour du projet d’une ligne ferroviaire entre Paris et Le Havre d’être présenté. Les mobilisations y sont séparées selon les tronçons de la voie, mais l’étude a bien fait valoir combien l’aménagement engage une reconfiguration du territoire normand et de la manière dont on l’identifie. On retrouve un type assez comparable d’enjeux avec le conflit en cours sur la rocade autoroutière à l’ouest de Strasbourg, notamment par les manières différentes dont l’environnement et l’espace sont selon les acteurs conceptualisés. Les variations d’échelles produites par la dynamique de la controverse conduisent ainsi à rendre compte de comment se reconfigure le monde naturel : ainsi il est saisissant de voir un rongeur endémique, longtemps considéré comme nuisible, devenir à l’occasion de la controverse une espèce à protéger.

Les trois étudiantes ayant travaillé sur le projet alternatif de production d’électricité sur l’île de Sein ont choisi de leur côté une forme orale qui permettait efficacement de “situer les énoncés flottants”, en accord avec l’un des objectifs de toute étude de controverse : chacune avait revêtu l’apparence de son “personnage” – on pouvait reconnaître aisément l’habitant avec sa marinière et son bonnet ! – et cela leur a permis, à travers un savant jeu de prises de parole, de restituer la teneur des entretiens effectués au cours de l’enquête. Ce sont toutes les problématiques d’une transition énergétique et des infrastructures afférentes qui ont été par là même soulevées au travers d’une présentation dynamique.

Enfin, il fut question de la reconversion de la raffinerie Total à La Mède dans les Bouches-du-Rhône. Il s’agissait à n’en pas douter du sujet le plus médiatique compte tenu de l’implication de l’huile de palme dans la production des biocarburants prévus dans cette bio-raffinerie. L’enquête a bien ressortir la conjugaison inédite d’un front d’opposants associant aussi bien des militants écologistes autour de Greenpeace que les producteurs de colza réunis en particulier au sein du groupe Avril dirigé par le président de la FNSEA. Ce sujet avait d’ailleurs fait l’objet d’un des dossiers pour le stage de pré-rentrée des étudiant.e.s de Sciences Po à la rentrée 2018. La suppression en décembre dernier de l’avantage fiscal dont pouvaient bénéficier les biocarburants est venue relancer et a fait rebondir la controverse. À ce titre les étudiantes se sont retrouvées plongées au cœur de l’actualité la plus brûlante, mesurant ainsi combien étudier une controverse nécessite vigilance et suivi au plus près de sa dynamique.

En définitive, cet enseignement s’inscrit au cœur même du projet pédagogique de l’ISIGE dont “l’ambition est de constituer une force motrice de la transition écologique et de promouvoir une innovation expérimentale exigeante”, selon les mots de présentation de l’institut. De fait, l’étude de controverses contribue par son format à combiner les démarches de la recherche en sciences sociales et celles à l’œuvre dans des univers professionnels variés, à la jonction de la théorie et de la pratique.