publié par équipe FORCCAST le 29 juil. 2019
Le mercredi 12 juin dernier, FORCCAST organisait son Prix annuel de cartographie des controverses et permettait à quatre groupes d’élèves d’établissements partenaires du programme de présenter leurs résultats d’enquête de controverse devant un public attentif et le fondateur de FORCCAST, Bruno Latour.
Depuis neuf ans, le Prix des controverses valorise chaque année les meilleurs travaux d’études de controverses menés par des lycéen-nes et étudiant-es dans le cadre de leurs cours de cartographie des controverses proposés par FORCCAST. Cette année, quatre groupes -soit une quinzaine d’élèves- ont été sollicités pour présenter publiquement leurs travaux devant une soixantaine de personne. Invité tout spécialement pour présider l’édition 2019, Bruno Latour, fondateur de FORCCAST et initiateur du cours de cartographie des controverses, a ouvert le bal en rappelant l’intérêt de la démarche d’enquête, avant de laisser place à la première présentation.
Les tests de Q.I. mesurent-ils notre intelligence ?
Dès la fin du discours, l’estrade de la salle François Goguel a été investie par deux élèves de 1ère du Microlycée 93. Costumes et accessoires en main, les lycéennes se sont mises dans la peau d’une professeure puis psychologue, et d’une mère d’élève. Au moyen de deux saynètes finement interprétées, elles ont interrogé la valeur que l’on peut accorder aux tests de Q.I. pour mesurer notre intelligence. “Vous me dites que mon résultat est inférieur à celui de mon fils, donc je ne suis pas intelligente ?”, questionne la lycéenne dans le rôle de la mère d’élève.
A travers leurs échanges, les lycéennes ont souligné le fait que le QI reste aujourd’hui la mesure référente de l’intelligence, pourtant elle-même difficile à définir. Loin de se limiter à notre capacité à comprendre, faire des corrélations et résoudre des problèmes, l’intelligence serait multiple et engloberait plusieurs types : intelligence sociale, musicale, kinesthésique, etc. Or, les avis les plus critiques envers ces tests dénoncent justement leur incapacité à prendre en compte ces éléments, pour ne mesurer que nos aptitudes logiques et mathématiques. Mais devant la subtilité et complexité de notre fonctionnement cérébral, peut-on seulement quantifier l’intelligence ?
Fortes d’une première présentation au mois de mars, dans le cadre des Travaux Personnels Encadrés (TPE – épreuve anticipée du baccalauréat), les deux élèves très à l’aise sur scène se sont exprimées sur leur expérience du rôle, avant de recevoir leur prix des mains de Bruno Latour : “Ca fait du bien de changer de posture et ne plus être élève de temps en temps !”
Ne pas toucher : la restitution des biens culturels
Trois étudiant-e-s de l’Ecole de Management et de l’Innovation (EMI) de Sciences Po ont pris le relais pour discuter de la restitution des biens culturels africains, pillés par les colons français et aujourd’hui conservés dans des musées de l’Hexagone (dont une grande majorité au Quai Branly). En 2017, le gouvernement français s’est prononcé sur son engagement à restituer les biens à leurs pays d’origine. Les demandes de restitution se sont ensuite multipliées dans le continent africain, depuis la requête de restitution du trône du roi Béhanzin par le président béninois à l’UNESCO en 2018. Cependant, la mise en place d’un dispositif de restitution soulève des enjeux de différentes natures. Alors que la valeur culturelle d’un objet prime pour certains, sa conservation ou encore les modalités juridiques de restitution ont plus de poids pour d’autres. Pour les anthropologues, l’histoire de chaque objet est déterminante dans la question de restitution : quelle est, quelle a été sa “vie” dans son pays, quelle est sa place ? En support de leur exposé, le trio a navigué en live sur le site web conçu dans le cadre de leur examen de fin d’année. Après avoir répondu à quelques questions du public, les étudiant-es se sont vu-es remettre leur prix.
Monsieur X ou les limites du transhumanisme
Les étudiant-e-s de Télécom ParisTech se sont à leur tour prêté-es au jeu. Après une courte introduction, le groupe a projeté un film de leur réalisation, tourné exclusivement à l’aide d’un smartphone “pour garder un côté organique, et rester proche de ce que les personnages peuvent ressentir”, a expliqué l’un d’eux.
Monsieur X a alors immergé le public dans un futur proche pendant quinze minutes. Étalée de la deuxième moitié du XXIe siècle jusqu’en 3019, l’action suit près de mille ans de vie (rallongée par des méthodes miraculeuses) d’un personnage dans une société dystopique où les technologies ont pris le dessus : hommes et femmes-robots, pilules du bonheur, appareils high tech. Le déclin progressif de cette existence facilitée au premier abord, jusqu’à la fin tragique, illustre l’affrontement du transhumanisme et bioconservatisme. Les défenseurs de l’un prêchent l’emploi de dispositifs scientifiques et techniques pour améliorer la vie quotidienne (capacités intellectuelles et physiques surdéveloppées, intelligences artificielles, manipulations génétiques, etc.). Les partisans de l’autre s’opposent à l’utilisation de ces dispositifs qui modifieraient notre essence et porteraient atteinte à notre dignité. Que l’on partage l’engouement pour le pouvoir de contrôler notre évolution ou les craintes que de telles idées génèrent, des points de réflexion divers (juridiques, éthiques par exemple) accompagnent le débat : comment éviter la surveillance si les individus sont traçables ? Quelle protection pour les données personnelles ? Quelle préservation de l’identité, de la conscience ? Qu’en sera-t-il de l’égalité d’accès aux technologies ?
A la suite du film, les étudiant-es ont également présenté leur site web tout en répondant aux questions.
StocaMine, une bombe à retardement 500 mètres sous terre
Le groupe de l’ISIGE (Institut supérieur d’ingénierie et gestion de l’environnement) MINES ParisTech a clos la session de présentation avec une simulation de débat radiophonique sur France Bleu Alsace pour parler du centre de stockage de déchets Stocamine. Construit à la fin des années 90 sur une ancienne mine de potasse (minerai exploité pour la fabrication de l’engrais), un incendie a suspendu son activité en 2002. Regorgeant alors de 44 000 tonnes de déchets dangereux -dont le devenir depuis l’incident était vivement discuté- à 550 mètres sous terre, le centre localisé à Wittelsheim en Alsace a fait son retour sur le devant de la scène en 2019.
Après la décision très contestée de l’Etat en 2017 de prolonger le stockage pour une durée illimitée, l’ancien ministre de la transition écologique Nicolas Hulot avait sollicité le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) en avril 2018 pour une étude sur la faisabilité de déstockage intégral (hors bloc 15 – le bloc incendié). Malgré un rapport parlementaire rendu quelques mois plus tard par trois députés du Haut-Rhin (Raphaël Schellenberg, Vincent Thiébaud et Bruno Fuchs) dévoilant le besoin urgent d’extraction – notamment à cause des risques de pollution des nappes phréatiques-, l’Etat a définitivement renoncé au projet en janvier 2019. Un avis motivé par le coût du déstockage – environ 5 fois supérieur à celui des travaux de confinement (400 millions contre 80)-, ainsi que par les trop grands risques qu’une telle entreprise représenterait, selon l’expertise du BRGM.
Devant l’importante mobilisation locale, le (désormais ancien) ministre de la transition écologique François de Rugy a annoncé le lancement d’une étude de faisabilité de déstockage partiel, éventuellement conduit pendant que les travaux de confinement se poursuivent. Cette option, qui ne neutralise pas les risques de contamination des nappes, ne remporte pas l’adhésion générale et les mobilisations continuent.
Une belle session de présentations conclue par un cocktail chaleureux
Fidèle à la coutume, FORCCAST a réuni les groupes, leurs enseignant-es et le public ravi pour un moment convivial autour d’un cocktail de clôture, laissant à chacun-e le loisir de féliciter les étudiant-e-s pour leurs travaux ainsi que leurs professeur-es, et d’échanger avec l’équipe du programme.