Regard sur le cours “Sciences, techniques et controverses” de Ponts Paristech

publié par Equipe FORCCAST le 20 mars 2017

catégories Controverses · Enseignement supérieur

Martine Drozdz et Jonathan Rutherford sont responsables du cours “Sciences, techniques et controverses” qui est proposé aux élèves du cycle ingénieur civil de Ponts Paristech. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec eux à l’issue de l’édition 2016/2017 de cet enseignement.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Nous sommes tous les deux géographes, chercheurs au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés, associé à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Martine est plutôt spécialiste de questions urbaines et de développement métropolitain tandis que je (Jonathan) travaille plutôt sur l’énergie et les infrastructures. Depuis deux ans, nous avons eu la chance de succéder à Valerie November pour l’enseignement du cours “Sciences, techniques et controverses” à l’ENPC. Cette année, Flaminia Paddeu, post-doctorante au sein du Labex DynamiTE nous a rejoint pour suivre les élèves-ingénieurs dans ce cours au format particulier.

J. Rutherford, M. Drozdz, V. November & F. Paddeu

Quels sont les principaux objectifs de ce cours “Sciences, techniques et controverses” que vous proposez à des élèves ingénieurs de l’Ecole des Ponts ?

L’objectif principal du cours est de former les futurs diplômés de l’ENPC aux questions scientifiques et techniques en leur montrant qu’elles sont indissociables d’enjeux politiques et sociaux. C’est à leur croisement que se dessine le futur visage de nos sociétés, comme en témoignent les débats publics qui accompagnent le développement des biotechnologies, les projets urbains ou encore les risques liés au changement climatique. Dans ce contexte incertain, les diplômés de l’ENPC doivent être capables de maîtriser à la fois les questions les plus pointues techniquement et les enjeux sociaux, politiques et moraux qui les accompagnent. Notre but est de permettre aux élèves-ingénieurs de prendre la mesure cette complexité, en les invitant à réaliser une cartographie de controverse. Outre ces objectifs généraux, il s’agit également de proposer une initiation aux différentes méthodes et outils permettant d’analyser de manière innovante les enjeux des controverses contemporaines.

Les enseignements d’analyse des controverses permettent souvent à des élèves ingénieurs de découvrir les sciences sociales. Comment se passe cette rencontre à l’Ecole des Ponts ?

La plupart des élèves-ingénieurs de l’ENPC suivent des cours de sciences sociales en première année (socio-anthropologie, histoire des sciences, philosophie politique, etc.). Ce n’est donc pas une complète découverte pour eux. Toutefois, le cours s’organise assez différemment des autres modules de sciences sociales. Comme dans les autres cours, nous commençons bien sûr par une série de conférences dans lesquelles nous présentons les principaux auteurs et concepts du champ de la sociologie des controverses socio-techniques. Cela nous permet d’introduire les principaux concepts que les élèves-ingénieurs auront à mobiliser lors de l’étude de leur controverse comme les notions d’arènes, d’acteurs/actants ou encore celle de publicisation et de construction des problèmes publics. Toutes les notions sont présentées en lien avec des exemples concrets de controverses “chaudes” ou “froides”. Ces séances théoriques sont suivies d’un temps d’enquête de plusieurs semaines pendant lequel les élèves-ingénieurs choisissent une controverse et l’étudient, en équipe. C’est ce qui constitue la particularité de cet enseignement. C’est la deuxième fois que vous proposez cet enseignement selon ce format (pour une vingtaine d’étudiants en deuxième année).

Dans les grandes lignes, comment avez-vous organisé votre enseignement ?

Comme nous le disions précédemment, le cours est organisé en deux temps : un temps d’abord plutôt théorique pendant lequel nous présentons les théories et concepts de l’étude des controverses socio-techniques, suivi d’un temps plus pratique, pendant lequel les élèves-ingénieurs réalisent une enquête sur la controverse de leur choix. Les séances introductives se sont pas purement théoriques bien sûr : elles sont également l’occasion de faire intervenir des ingénieurs en poste, qui ont affaire à des controverses dans leur quotidien professionnel. Pendant le deuxième temps du cours, les élèves-ingénieurs travaillent sur une controverse de leur choix. Nous les accompagnons dans la définition des différents problèmes qu’elle recoupe et dans l’identification des principaux acteurs impliqués. Nous les encourageons pour cela à explorer différentes arènes en travaillant à partir de différentes bases de données documentaires qu’ils organisent sur Zotero, des portails bibliographiques comme Web of Science, Scopus ou HAL et des bases médiatiques. Ils réalisent également des entretiens. Dans un dernier temps, ils construisent un site web sur leur controverse et viennent le présenter à un jury à la fin du semestre.

Qu’est-ce qui vous convainc le plus dans la formule de cours que vous avez mis en place ? Envisagez-vous de continuer à la faire évoluer ? Si oui, quels sont les éléments selon vous prioritaires. ?

Nous avons été très satisfaits par l’implication des élèves-ingénieurs, qui se sont sérieusement investis dans l’étude de leur controverse. L’entière liberté laissée aux élèves de choisir le sujet de leur controverse explique en partie leur motivation. Le cours demande un effort certain pour mener à bien la collecte et l’analyse d’un corpus souvent foisonnant et nous avons pu constater avec les élèves l’efficacité des outils de fouille de données proposés par Forccast. Dans le futur, il nous paraît important de renforcer encore la dimension pratique du cours et d’offrir d’autres outils, en particulier d’exploration du web. Nous avons organisé cette année une séance de formation avec un ingénieur qui a également une formation en philosophie des sciences et travaille dans le champ de la “data visualisation”. Certains outils qu’il nous a présentés nous ont semblé avoir une portée heuristique importante pour naviguer dans de larges corpus de données bibliographiques et médiatiques. En ce qui concerne la présentation des controverses, il nous paraît important d’essayer de proposer des formats alternatifs au traditionnel site web. Un travail avec un-e comédien-ne ou un-e écrivain-e pourrait encourager une plus grande créativité dans les modes de mise en récit.

Ce cours existe dans deux autres écoles d’ingénieurs parisiennes (Mines et Télécom), qui sont également membres de Forccast. Quels éléments apportés par les partenaires du programme vous ont été utiles pour la mise en place de votre cours ?

D’abord, il est très appréciable de pouvoir échanger avec des collègues qui sont confrontés à des enjeux pédagogiques similaires. La possibilité de participer à l’école d’été organisée par l’équipe Forccast à Sciences Po en septembre 2017 a pour cela été décisive. D’un côté, elle permet à ce que l’on pourrait appeler la petite communauté des enseignants de la cartographie des controverses de se retrouver et de discuter des différents dispositifs mis en place dans les écoles. De l’autre, grâce aux ateliers proposés, les participants ont l’occasion de pratiquer la cartographie de controverse pendant les séances et ce faisant, de recueillir des exemples de “bonnes pratiques”. Nous avons ainsi emprunté à l’école d’été un exercice de cartographie de controverse en temps limité avec corpus préalablement fourni, dont les résultats ont été assez convaincants.

Qu’est ce que Forccast pourrait vous apporter pour les prochaines éditions du cours ?

Forccast est un soutien nécessaire pour nous, à la fois pour continuer à échanger avec les collègues d’autres établissements embarqués dans cette aventure pédagogique et pour continuer à nous former nous-mêmes aux enjeux théoriques et pratiques de l’analyse des controverses. Nous sommes confrontés aux mêmes enjeux que nos étudiants dans l’étude de nos objets de recherche où les controverses se multiplient. Nos corpus se complexifiant grâce à un accès élargi à l’information, la maîtrise des outils d’exploration de large corpus documentaires nous paraît aujourd’hui indispensable pour mieux les appréhender. Et nous pouvons ainsi mieux former en retour nos étudiants. Nous sommes par conséquent très intéressés par les sessions de formation proposées par Forccast et ses partenaires et par la découverte de nouveaux outils. Nous souhaitons également solliciter Forccast et son expertise pour élargir le spectre des intervenants que nous pourrions inviter, en particulier des professionnels de la communication. Enfin, nous n’avons pas encore eu l’occasion d’organiser un exercice de simulation de négociation, mais c’est une piste que nous aimerions explorer. L’ENPC se prêterait bien à une simulation concernant un grand projet d’aménagement par exemple. Le cours se termine à l’Ecole des Ponts pour l’année 2016/2017.

On dit souvent qu’il constitue une expérience riche pour les enseignants et pour les étudiants. Qu’est-ce qui vous a plus particulièrement marqué cette année ?

Je crois que cette année, nous sommes parvenus à trouver un format qui convient aux élèves-ingénieurs de l’ENPC et cela a été une grande source de satisfaction. Ce n’est pas un cours facile à appréhender et la pédagogie inversée qui le caractérise peut être déconcertante pour des étudiants qui ne sont pas habitués à ce format. En travaillant avec un groupe restreint d’élèves, nous avons pu mieux les accompagner tout au long du semestre. Les élèves-ingénieurs ont par ailleurs noté dans leur évaluation du cours l’intérêt qu’ils ont eu à effectuer des entretiens. Ils en sont parfois revenus surpris de voir leurs propres opinions modifiées par ces rencontres, avec des acteurs avec lesquels ils se sentaient a priori en désaccord. Si le cours peut aider à faire de telles expériences, nous ne pouvons que souhaiter qu’il se poursuive !